Initialement, les Real Books ne contenaient que les « standards » au sens premier du terme (pour l’essentiel, des chansons de Gershwin, Cole Porter, Irving Berlin etc, des extraits de comédies musicales américaines et quelques blues pour faire bonne mesure). Ils permettaient à des musiciens d’origine différente, qui ne s’étaient jamais rencontrés, et qui n’avaient pas intériorisé comme leurs prédécesseurs l’énorme patrimoine des standards, de se mettre à jouer ensemble, sous le regard éberlué d’un public qui ne comprenait pas comment fonctionnaient les nuances d’interprétations, les arrangements de tête (head arrangements) et moins encore le processus d’improvisation. Petit à petit, les Real Books succédant aux Real Books, de nouvelles compositions apparurent, à commencer par les « standards modernes » écrits par les musiciens bop, cool etc (parmi lesquels se trouvaient de prodigieux compositeurs comme Charlie Parker, Thelonious Monk, Lee Konitz, Sonny Rollins, John Coltrane, Charles Mingus etc). L’univers des standards grossissait de décennie en décennie et intégrait des œuvres de plus en plus modernes et parfois bien éloignées des standards originaux. L’internationalisation du jazz eut également pour conséquence d’intégrer, petit à petit, les compositions de jazzmen non américains…
Ce Real Book d’un genre nouveau n’a pas pour ambition, de se substituer aux volumes basiques mais de les compléter et de les enrichir. La connaissance de la tradition (et donc des standards au sens large du terme) reste, selon moi, indispensable à toute pratique cohérente du jazz. Mais l’heure n’est plus à l’intégrisme et si l’on peut, désormais, sur disque ou en jam, associer une mélodie de Jimmy Van Heusen à une des compositions désormais mises à disposition du public grâce à ce volume, le jazz ne s’en portera que mieux. Et si le jazz se porte mieux, je veux croire que le monde en déliquescence que nous connais- sons, retrouvera lui aussi quelques couleurs !
Jean-Pol Schroeder
Maison du Jazz de Liège