Sébastien WALNIER : Cello
André KLENES : Double Bass
All compositions and arrangements by André KLENES
Chamber, 2004
André Klenes persiste, signe et remporte l’essai. S’il abandonne pour un temps le quintet à cordes des deux premiers Adam’s Dream, il ne tourne pas le dos pour autant à cette « musique de chambre ouverte » qui lui va comme un gant. Et le voilà qui se lance, à coeur et corps perdus, dans une
exploration plus intimiste et plus équilibriste encore – parce que sans filet – des univers sonores parallèles et jubilatoires dont il détient désormais les clés. Contrebasse et violoncelle, dialogues à fleur de cordes, fiançailles come a casa du doigt et de l’archet : un ange passe. Un ange bicéphale distillant sur son passage lyrisme et émotion, humour et mélancolie, candeur et sagesse, swing et langueurs. Tantôt descriptive, tantôt allusive, l’écriture ouvre grandes les portes de l’empathie et ménage à l’imaginaire l’espace infini du non-dit, du non-avenu. Du déjà-presque-vu-mais-qui-s’en-est-allé. Au-delà, c’est avant tout le son qui fascine et interpelle : c’est lui qui, au terme du voyage, nous squatte l’âme et le ventre, faisant de nous autant de rêveurs angéliques et d’Adams ébroués. Danses d’insectes graves à la généalogie trouble, esquisses rimbaldiennes, et surtout, surtout, climats éblouis de mers et d’embruns, à la recherche de quelque drunken sailor égaré là, allez savoir – et nous voilà, dialoguant entre baleines et dauphins, glissant entre gouttes de sons et pétales de silence. Entre lune et soleil, quelques tâches de bonheur simple sur les dessous dégoulinants du monde que l’on saît.
Jean-Pol SCHROEDER
La Maison du Jazz
« Jamais deux sans trois… ». Depuis quelques années, le contrebassiste liégeois, André Klenès, nous entraîne au fil de ses albums (Adam’s dream en 2001 et Spring Tide en 2003) pour notre plus grand plaisir dans son monde musical mystérieux.
Si la formule du quintette à cordes est ici délaissée, ce n’est sans doute qu’un prétexte à l’introspection de l’artiste. En effet, la combinaison d’une contrebasse et d’un violoncelle rend plus intime encore le langage musical d’André. Toujours influencées par divers styles musicaux (classique, jazz, blues, ragtime,…), les compositions déploient une large palette d’émotions qui débutent dans les profondeurs presque impénétrables du son et de l’harmonie (Suite marine) pour atteindre la plénitude mélodique et rythmique en un véritable feu d’artifice sonore (une saison, troisième pièce de la Ballade sur le nom de Rimbaud).
La recherche d’un équilibre entre les deux instrumentistes traduit une nécessité expressive de même type. Tout l’enjeu réside dans la découverte de nouvelles sonorités et de timbres inédits permettant de combler l’apparente proximité des deux instruments. Le risque de générer l’ennui et la lassitude, André Klenès le balaye d’un revers de l’archet ou de la main. Toutes les compositions nous font découvrir parfois avec humour (Le bar des grenouilles) parfois avec mélancolie (toute la Suite marine) que la richesse des timbres et les effets sonores sont infinis.
Sébastien Walnier, jeune violoncelliste d’énorme talent, contribue largement à la réussite exemplaire de ce nouvel album. Il semble ressentir cette musique au plus profond de son instrument et de son âme (qui se rassemblent sans doute en une seule entité). Fidèle aux partitions d’André, Sébastien ne s’en sent pas moins libre d’improviser. Plus qu’un dialogue entre deux musiciens, c’est d’une véritable fusion qu’il s’agit. Aucune phrase n’est forcée, aucun effet ne semble surfait, tout est senti.
L’album s’ouvre avec la pièce générique Flying Angel qui nous replonge dans les harmonies et les rythmes des albums précédents. Tout en rebond et en swing, l’ange s’envole dans des parcours hauts en couleur qui se renouvellent au fur et à mesure de l’évolution de la pièce dans une improvisation endiablée.
Le corps de l’album s’articule autour de trois suites aux titres évocateurs et poétiques. La première, intitulée « Le Ballet des insectes » nous plonge dans un milieu sonore inquiétant d’abord mais qui se révèle vite en une métaphore de notre propre monde. Même si des sons d’insectes sont « mimés » par les instruments, nous retrouvons les rythmes typiques d’André et son savoir faire mélodique. Au centre de cette première suite se trouve l’intermezzo qui par ses sonorités en sourdine et ses vagues harmonies divagantes semble plonger au cœur de la nature, dans une sorte de drame originel qui est loin de ne concerner que les insectes… Cette belle suite se referme magistralement par le « Bar des grenouilles » qui traduit avec beaucoup d’humour les croassements des animaux des marais qui petit à petit développent une mélodie proche du Carnaval des animaux de C. Saint Saëns (1835-1921). Le cocasse laisse alors place aux rythmes endiablés et à la jubilation qui dissipe les ombres des morceaux précédents.
La deuxième suite « Ballade sur le nom de Rimbaud » semble tirer son propos de la philosophie même du poète. En effet, pour Arthur Rimbaud (1854-1891), la poésie naît d’une alchimie du verbe et des sens. Est-ce dire qu’André Klenès nous propose ici ce savant mélange du temps et du son en une poésie sonnante mais également chargée de sens ? Le triptyque dont les titres s’inspirent des poésies de Rimbaud ne contient-il pas, par la synthèse de l’art d’André, ce côté nécessairement narcissique et auto contemplatif de notre contrebassiste ? Notre propos n’est pas de répondre pour l’artiste, mais quelques fois, dans l’inconscient…
La Suite marine qui clôture ce nouvel album nous propose six « estampes » qui illustrent des impressions profondément ancrées chez notre musicien. Suggérant un hypothétique marin qui serait comme cet infatigable navigateur du vaisseau fantôme, n’accostant dans les ports que par nécessité, les paysages supposés sont remplis de mystères. Ecoutez la corne de brume ou la trompette marine dans la Rose des vents ou dans la valse. Cet instrument aux sonorités parfois orientales semble percer un épais brouillard. Au passage, dites vous encore une fois qu’il n’y a que deux instruments, un violoncelle et une contrebasse. Lorsque les brumes se dissipent, ce ne sont que rythmes et harmonies vives. La procession dans le port est introduite par de sinistres sonorités avant qu’une marche, presque funèbre, ne s’élève douloureusement en un mouvement pathétique qui s’anime petit à petit sous l’impulsion des pizzicati de la contrebasse. La valse des brumes est remarquable par ses géniales imitations d’oiseaux marins. La suite se referme sur l’étonnante prière du marin perdu dans les vastes étendues désertiques. On entend muser la prière qui ressemble en son début aux immenses étendues sonores et aux enchaînements harmoniques Bruckneriens. Cette prière sans espoir se perd dans le lointain. Tout est dit et l’album se referme, se dissout mais se prolonge encore longtemps dans notre cœur.
Une fois encore, André Klenès nous fait voyager à travers les paysages de son imagination sans limite. Une fois encore, le style est homogène dans la maîtrise des univers sonores. Entre joie et mélancolie, entre métaphore et réalisme, les mélodies, les timbres et les rythmes se croisent dans un monde merveilleux qui, s’il est celui du compositeur, est aussi un peu le nôtre. Peut-être le meilleur des trois albums….
Jean-Marc ONKELINX
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